No land demain? à l’épreuve du bac, l’idée à priori pourrait sembler bien audacieuse… C’est pourtant celle qu’orchestre aujourd’hui avec beaucoup de conviction, Séverine Billat, Professeure de Français à Dax, forte de l’adhésion de ses élèves, bouleversés comme elle, par l’acuité de l’oeuvre chorégraphique de Faizal Zeghoudi.
C’est à l’issue de la rencontre avec le chorégraphe organisée, le 25 janvier 2018, en amont de la représentation de No land demain ? à l’Atrium de Dax, que la professeure enthousiaste a présenté son projet pédagogique à Faizal Zeghoudi : En juin prochain, les lycéens de Première L et S du Lycée de Borda pourront aborder le spectacle dans la partie entretien de leur oral de bac, le citer pourquoi pas en exemple dans leur dissertation de Français ou le prendre en sujet d’illustration d’un TPE sur le thème de la Méditerranée, « espoir de vie meilleure ou lieu d’écueil » pour les migrants. Retour sur une initiative formidable qui prouve que la danse peut entrer de plein pied dans l’école, dès lors qu’elle « fait sens » auprès des jeunes…

photo Séverine Billat
Organisée en concertation avec Myriam Soulagnet, médiatrice culturelle, et Alexandre Nipaut, professeur au conservatoire de danse de Dax, lui-même fin connaisseur du travail de Faizal Zeghoudi, la rencontre du chorégraphe et des classes de Première L et S du Lycée de Borda, autour du spectacle programmé l’après midi même, en séance scolaire à l’Atrium, avait déjà constitué un « moment rare » . Selon les propres mots de la Professeure de français, « le contenu de l’intervention de Faizal était passionnant, rigoureux et riche d’une culture littéraire exprimée avec beaucoup de sensibilité. Il a répondu avec beaucoup de sollicitude, de bienveillance et d’authenticité aux questions des élèves, curieux et un peu impressionnés aussi. Avec lui, l’art leur a semblé moins inaccessible. Beaucoup d’entre eux n’avaient jamais été au théâtre ni vu un spectacle de danse. Le contact avec un chorégraphe de renom les intimidait mais ils ont été particulièrement attentifs à ses propos sur la genèse du spectacle, sur la construction de son projet, sur son approche du corps, si proche parfois de celle de Beckett, que nous avions étudié en classe. Il s’en est dégagé une intense émotion et de forts échanges avec les élèves ». Mais c’est bien à l’issue de la représentation de l’après midi que ces derniers lui ont fait part avec le plus d’émotion du choc qu’ils avaient éprouvé face à la prestation poignante des huit danseurs de « No land demain? » dans leur combat à corps perdus pour la survie, la fuite, l’exil forcé en temps de guerre ou de misère économique. C’est de là qu’est venue l’idée pour Séverine Billat, de poursuivre en classe la réflexion autour de ce thème qui fait, selon elle, parfaitement écho au roman de Laurent Gaude, « Eldorado » déjà inscrit à l’oral de français de ses élèves.
Un projet pédagogique autour de l’instinct de survie
« Madame, ce spectacle, c’est surement la chose la plus terrifiante, la plus oppressante, la plus triste que j’ai jamais vue; mais c’est à n’en pas douter la plus belle expérience de ma vie », lui confiait ainsi l’une de ses élèves, à l’issue de la représentation et de la rencontre bord de scène qui suivit avec le chorégraphe et les huit interprètes « No land demain ? »

photo Séverine Billat
Emue de voir à quel point ses élèves étaient bouleversés, ébranlés dans leurs certitudes par un spectacle qu’ils ont reçu avec beaucoup de ferveur parce qu’il leur parle et leur a fait découvrir la danse autrement, Séverine Billat leur a proposé d’intégrer « No land demain? » à la liste des sujets de débat proposés en seconde partie de l’oral du bac, en lien avec les séquences sur le théâtre et le roman inscrites au programme de français des Premières. En concertation avec Mme Chevallereau, sa collègue professeure en S, les lycéens vont ainsi prolonger en cours leur réflexion autour de l’œuvre du chorégraphe, révélatrice, dans sa pratique scénique, son écriture et son travail sur les corps, d’une certaine conception de la création artistique qui fait écho, selon elle, à la formule d’Antonin Artaud « d’art total » déjà étudiée avec eux dans la séquence Théâtre de leur programme, ou encore à celle de Gabriel Celaya qui définit » l’expression artistique, comme une arme chargée de futur« . Dans le même esprit, c’est également en lien avec l’œuvre littéraire de Laurent Gaudé, le beau roman « Eldorado » qui traite aussi de la question de l’exil et de l’instant de survie, qu’elle entend amener les lycéens de sa classe littéraire option danse et arts plastique, à tisser dans leur approche des passerelles entre les différentes formes d’expression artistique. Dans cet esprit d’interdisciplinarité, un groupe d’élèves travaille d’ores et déjà sur « No land demain? » dans le cadre d’un TPE (travaux personnels encadrés) dont ils ont formulé la problématique en ces termes : « Comment la Méditerranée est-elle devenue à la fin du XXeme siècle, un lieu de passage majeur vers l’espoir d’une vie meilleure ainsi qu’un lieu d’écueil pour les migrants « . C’est bien parce que cet intitulé aurait pu s’inscrire en filigrane de l’œuvre chorégraphique de Faizal Zeghoudi, que Séverine Billat a choisi de mettre son travail au centre de ses échanges avec ses élèves comme l’expression formelle d’une approche esthétique « vecteur d’idées « , apte à les bousculer, les toucher au plus profond d’eux mêmes, voire les ébranler dans leurs certitudes . Au final, que « No land demain? « soit citée ou non en exemple dans des dissertations à venir, que l’œuvre de Faizal Zeghoudi devienne ou non sujet de discussion à l’oral du bac, la professeure aura quoiqu’il en soit, avec elle gagné son pari : gagner le cœur de la jeunesse en l’ amenant au spectacle et dans « l’après » représentation, la sensibiliser à une forme d’expression artistique qui la touche de plein fouet : un art qui lui parle du monde tel qu’il est, et surtout lui propose des clefs d’interprétation pour mieux le comprendre, le déchiffrer… En attendant qui sait ?
de pouvoir le changer…